Par principe, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut constituer un motif de licenciement que s’il cause un trouble caractérisé dans l’entreprise, s’il caractérise un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail ou s’il est susceptible de se rattacher à la vie professionnelle du salarié.
Ainsi a-t-il été jugé qu’un plaisir solitaire, même dans le véhicule professionnel, relevait de la vie privée du salarié, de sorte que le licenciement de l’intéressé n’était pas justifié (arrêt du 20 mars 2024) ; ou encore que des propos injurieux et des menaces proférés à l’encontre des membres d’un jury d’examen, tenus hors du cadre et de l’activité de l’entreprise, à l’encontre de personnes qui lui étaient extérieures, ne relevaient pas du pouvoir disciplinaire de l’employeur et ne pouvaient être sanctionnés à ce titre (cour d’appel de Grenoble, 17 septembre 2001 n° 98-3996).
A défaut, le licenciement pour un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut être jugé sans cause réelle et sérieuse, voire frappé de nullité.
Et c’est précisément sur ce point que, dans un arrêt du 25 septembre 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation, amenée à se prononcer sur le licenciement d’un salarié contrôlé en possession de stupéfiants après son service, a posé ce qui pourrait devenir un nouveau principe, en distinguant la notion de vie personnelle de celle de « l’intimité de la vie privée ».
Dans cette affaire, un salarié de la RATP avait été verbalisé par les services de police après son service pour détention et consommation de produits stupéfiants. Bien que la procédure pénale ouverte à la suite de ce contrôle ait été classée sans suite, le procureur de la République ayant estimé que l’infraction n’était pas suffisamment caractérisée, la police judiciaire a informé la RATP, qui a alors décidé de révoquer le salarié pour faute grave.
L’intéressé a alors saisi la juridiction prud’homale, contestant la validité et le bien-fondé de son licenciement.
A juste titre, puisque la cour d’appel de Paris a estimé que les faits reprochés au salarié n’étaient pas suffisamment liés à sa vie professionnelle pour justifier un licenciement disciplinaire.
A l’appui de leur décision, les juges du fond ont relevé, d’une part, que le salarié n’avait mentionné sa profession lors du contrôle de police qu’à la demande de l’agent, et d’autre part que son contrat de travail ne prohibait pas la consommation de stupéfiants après ses heures de service. Or, le dépistage effectué s’étant révélé négatif, et le contrôle ayant été effectué en fin de journée, le salarié n’avait pas, selon la cour, manqué à ses obligations contractuelles.
Plus encore, la cour d’appel a jugé le licenciement nul en raison de l’atteinte portée au droit fondamental de l’intéressé à sa vie privée.
Cette analyse a été partiellement invalidée par la Haute juridiction, selon laquelle « le motif de la sanction était tiré de la vie personnelle du salarié sans toutefois relever de l’intimité de sa vie privée, de sorte que, si le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, il n’était pas atteint de nullité en l’absence de la violation d’une liberté fondamentale ».
La sanction fondée sur des faits tirés de la vie personnelle du salarié, sans toutefois qu’ils ne relèvent de l’intimité de sa vie privée, n’est donc pas de ce fait atteinte de nullité, mais serait seulement dépourvue de cause réelle et sérieuse. Si la distinction est subtile, les conséquences sont fondamentales pour l’employeur.
En effet, lorsqu’un licenciement est jugé nul, le salarié peut solliciter sa réintégration dans la société, à son poste ou, à défaut, dans un emploi équivalent, sans que l’employeur ne puisse s’y opposer, sauf à établir l’impossibilité pour l’entreprise de s’exécuter.
En outre, le salarié qui demande sa réintégration a droit à la réparation de la totalité du préjudice subi durant la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, soit, en pratique, à une indemnité équivalente à la rémunération que le salarié aurait dû percevoir durant cette période (souvent plusieurs années de salaire, compte tenu des délais de procédure devant les juridictions prud’homales).
La jurisprudence opère cependant une distinction selon la cause de la nullité.
En principe, la réparation du préjudice se limite au préjudice réel, ce qui implique de déduire de l’indemnité les salaires et revenus de remplacement perçus par le salarié pendant cette période.
Néanmoins, lorsque la nullité du licenciement résulte de la violation d’un statut protecteur, d’un droit ou d’une liberté garantie par la Constitution, le salarié a droit à une indemnisation forfaitaire, sans déduction des revenus perçus durant sa période d’éviction.
Quant au salarié qui ne sollicite pas sa réintégration, ou lorsque celle-ci est impossible, il doit se voir octroyer par les juges une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, cumulable avec les indemnités de ruptures (indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de congés payés, indemnité compensatrice de préavis…)
Une sanction particulièrement sévère pour l’employeur, et sans commune mesure avec celle prévue en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans ce dernier cas, l’indemnisation est bien différente, surtout pour les salariés ayant peu d’ancienneté : elle est encadrée par des planchers et des plafonds, allant d’un mois de salaire pour moins d’un an d’ancienneté à 20 mois pour 30 ans d’ancienneté.
Il convient de noter que la Cour de cassation a, le même jour, rendu un second arrêt dans lequel il a été jugé, au contraire, que les faits ayant motivés le licenciement (des propos échangés lors d’une conversation privée via la messagerie professionnelle, dans un cadre strictement personnel) relevaient de l’intimité de la vie privée du salarié, de sorte que le licenciement était atteint de nullité.
La Cour de cassation continue ainsi sa construction jurisprudentielle autour de la vie personnelle et de la vie privée, distinguant la première, qui prive uniquement le licenciement de cause réelle et sérieuse, de la seconde, élevée au rang de liberté fondamentale dont la violation entraine la nullité du licenciement.
En tout état de cause, il convient d’être particulièrement vigilant lors de la rédaction de la lettre de licenciement, et ce d’autant plus que celle-ci, rappelons-le, fixe les limites du litige…